L'histoire du Monténégro se résume à une bataille permanente pour la liberté et l'indépendance. Attaqués de toute part, les Montenegrins concevaient que se battre pour ces valeurs était plus important que la poursuite du bonheur personnel ou familial. Un vieil adage dit que le Montenegrin préfère construire son tombeau qu'une maison...
Idyllique? Héroïque? Mythique? Révisionniste? Si le premier paragraphe semble avoir été tiré d'un récit clamé un jour de tempête par un barde au sommet d'un rocher, l'historien digne de ce nom prend alors immédiatement des pincettes pour analyser les récits des exploits de ces guerriers aux pieds nus. Bien sûr, les défaites et les désillusions ont été nombreuses, les serments d'allégeance envers les ennemis ont été parfois nécessaires pour éviter l'extermination, mais les désirs d'indépendance et de liberté ont été constants et les victoires face aux Ottomans nombreuses.
Le poids des mots
Un des vecteurs essentiels de la propagation de la foi montenegrine en la liberté et l'independance est l'écriture et plus particulièrement la poésie. Même si l'illetrisme dominait, les seigneurs et les lettrés utilisaient l'écriture au même titre qu'une arme. La tradition orale faisait le reste et ne pouvait échapper aux oreilles d'un visiteur étranger. Le professeur polonais Adam Mickiewicz, qui parcoura le pays et enseigna ses écrits au Collège de France en 1840-42, parle dans le relevé de ses cours "d'un talent presqu'inné pour le chant". Sur une autre page: "Après la chute du royaume serbien, lorsqu'il n'y avait plus dans la Serbie ni roi, ni partis politiques, ni livres, l'histoire est refaite par la poésie". L'écrivain montenegrin Komnen Becirovic, dans son livre "L'Eternité menacée de la Moratcha" (Editions L'Age d'Homme) résume parfaitement l'importance du chant et de la poésie: "... la poésie aura constitué pour l'âme serbe ce refuge dans l'absolu, cette ville fortifiée contre le mal de l'histoire (...). Dans l'âpre vie qu'ils menaient, c'était la seule manière d'empêcher que les événements ne sombrassent dans le néant de l'oubli et, en les sublimant, d'opposer une revanche au destin, pour parler avec Marlaux. (...) La poésie n'étant cependant pas un simple refuge contre le malheur, mais aussi hymne et célébration, l'âme des montagnards, qui s'éveille au monde devant les spectacles grandioses de la nature, y est tout à fait apte."
Poème en 16 syllabes retraçant la résistance héroïque des neuf frères Milic dans leur village de Bjelice face aux Ottomans en 1714. Signé: Pierre II Petrovic Njegos. Plaque aposée au-dessus de la porte de l'Eglise du caveau familial.
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Les nombreux professeurs et scientifiques occidentaux qui ont parcouru le Monténégro, particulièrement à la fin du XIXe siècle, n'ont pas manqué de rapporter ces images idylliques et épiques en parlant de ce pays comme de la nouvelle Sparte ou du "nouveau trône en pierre de la liberté". Ce qui suscita une certaine sympathie pour ce confetti rocailleux dans les chancelleries et salons parisiens, anglais, allemands,... Mais il s'en trouvait aussi quelques-uns pour édulcorer l'image de marque du Monténégro car ce n'était pas possible qu'un si petit pays puisse se dresser victorieusement face à des ennemis autrement plus nombreux et plus puissants. Pourtant les faits sont là et éprouvés: alors que les Balkans et toute l'Europe centrale tremblent sous le joug de la Porte, jamais le Monténégro n'aura été soumis.
Le village d'Astérix
Lorsque les Serbes perdent la bataille de Kosovo Polje sur le Champ des Merles face aux Ottomans en 1389, ils subissent 500 ans de soumission arbitraire qui les lia solidairement car plus que toute campagne de propagande, la défaite et la différenciation avec l'occupant ont forgé une identité comme jamais ce peuple ne l'avait ressentie. La bataille de Kosovo pris une place prépondérante dans la poésie serbe et devint le mythe fondateur de l'identité serbe.
Mais pourquoi parle-t-on de "serbe" pour le Monténégro? Et quel est le lien entre le poème épique puisé dans la défaite du Kosovo et la résistance montenegrine?
Primo, les Montenegrins sont d'un point de vue ethnique des Serbes. Lorsque ceux-ci conquièrent les territoires balkaniques au VIIe siècle, ils s'installent dans une vaste région qui s'étend des environs de l'actuelle Belgrade jusqu'aux côtes de l'Adriatique. Lorsque les Ottomans conquièrent les territoires serbes à partir du XIVe siècle, ils se cassent les dents contre les montagnes abruptes et les recoins inattendus de la région proche des côtes de l'Adriatique. En 500 ans d'occupation, les Ottomans n'ont jamais réussi à imposer leur volonté au cur du Monténégro. C'était le village d'Astérix des Balkans.
Pierre II Petrovic Njegos: prince-évêque, poète, historien,... le plus grand personnage de l'histoire du Monténégro
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En raison de cette isolation forcée vis-à-vis de leurs frères serbes restés au Nord, les Montenegrins vont connaître une évolution culturelle, religieuse et administrative différente. Une véritable identité montenegrine est constituée. Par exemple, le pays est dirigé par des princes-évêques d'oncle à neveu dont le plus prestigieux est Petar II Petrovic Njegos, la figure emblématique du Monténégro. Comme le dit leur titre, les princes-évêques sont à la fois chef d'Etat, chef religieux, chef de l'administration, chef militaire,... mais n'ont jamais été considérés comme des despotes ou des dictateurs. Par la force des choses donc, le Monténégro était devenu un Etat indépendant et souverain mais son appartenance à la nation serbe n'a jamais été reniée. Pour preuve: Njegos, qui avait vraiment des compétences "all-around" puisqu'en plus d'être prince-évêque était aussi poète, publia la très belle épopée"Gorski Vijenac" (La Couronne des Montagnes) où la nation serbe et la foi orthodoxe sont fortement exaltées. Ce n'est bien sûr pas la seule référence montenegrine à la nation serbe. Il suffit de lire le site Njegos.org pour se convaincre que le Monténégro est le pays des Serbes, ceux de la caste supérieure des Serbes guerriers. Vous ne trouverez pas autant d'informations (voire pas du tout) sur les sites des groupes de pression qui nient la nationalité serbe des Montenegrins.
Cette appartenance à la nation serbe n'est pourtant pas du goût d'une frange minoritaire de la population montenegrine qui revendique une nationalité montenegrine compte tenu du passé indépendant du Monténégro. Le sujet est vaste et polémique, nous y reviendrons progressivement.
Les poèmes et chants épiques rapportant les faits d'armes glorieux face aux Ottomans sont la marque des Serbes, de tous les Serbes: Serbes des plaines du Kosovo, Serbes de la vallée de la Zeta, Serbes des montagnes,... Cette propension à mettre sur papier et à chanter le passé glorieux sera donc aussi la marque des Montenegrins.
Le Roi Nicolas Ier a modernisé et consolidé l'indépendance et la souveraineté du Monténégro. Mais son alliance longtemps rêvée avec les Serbes a entraîné la liquidation de son Etat indépendant..
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Après le chapitre des princes-évêques, le Monténégro va renforcer son indépendance, surtout dans la seconde moitié du XIXe siècle sous le règne du Roi Nicolas Ier, le dernier représentant de la maison Petrovic. Le pays est reconnu pour son émancipation et ses hauts faits guerriers face aux Ottomans lui valent l'admiration et la protection de nombreuses chancelleries. Mais le pouvoir du Roi Nicolas Ier s'effrita au fil des années et son alliance avec la Serbie sera une erreur fatale pour son aspiration à devenir le roi de tous les Serbes. Profitant de l'affaiblissement du pouvoir du roi, les Serbes répondent à la volonté exprimée par une majorité de Montenegrins de créer cette union tant désirée pendant des siècles. Mais cette union est dénoncée par les monarchistes de l'époque et les indépendantistes d'aujourd'hui comme une annexion militaire forcée par la Serbie. Mais les preuves manquent...
Si dans les grandes lignes le rapprochement avec la Serbie était souhaité par les Montenegrins, certains n'ont surtout pas apprécié comment les Serbes ont forcé cette union lors de la fameuse Conférence de Podgorica qui vit la liquidation de l'Etat montenegrin. Et certains parlent aussi de l'implication directe de la France en faveur des Serbes... Tout cela reste à vérifier. Les plus patriotes des Montenegrins prirent alors les armes pour bouter les Serbes hors du pays mais ceux-ci étaient beaucoup plus forts en matériel et en homme. Des dizaines de patriotes mourront. À noter toutefois que les Monténégrins patriotes (appelés aussi "Verts") ne renièrent jamais leur apprtenance à l'ethnie serbe mais revendiquaient l'affirmation d'une spécificité monténégrine. Ce n'est qu'à partir des années 1970 qu'un mouvement reniant tout lien avec les Serbes du Nord vit le jour avec l'appui d'hommes politiques indépendantistes ambitieux et de pseudo shistoriens révisionnistes, une tradition héritée de la période communiste.
Cet épisode est toujours resté en travers de la gorge des nostalgiques du Monténégro indépendant. Je me devais de rappeler cet épisode, que la Serbie a un peu tendance à ignorer, pour expliquer aujourd'hui l'opposition entre les Montenegrins qui proclament leur attachement à la Serbie et ceux qui rêvent de recouvrir la nationalité montenegrine perdue via une nouvelle indépendance. Le sujet est délicat, il s'agira de progressivement rassembler les points de vue de chacun pour que ce site, pendant sa construction, soit le plus complet possible, compte tenu des contraintes du média Internet.
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