“Le Monténégro et l'avenir de la République fédérale de Yougoslavie” — Conférence de Jean-Arnault Dérens à l'Université Libre de Bruxelles le 29 janvier 2002. Ou comment la propagande des révisionnistes monténégrins atteint la francophonie grâce à leur ami Français, président du Courrier des Balkans.
Bruxelles — 6 février 2002
Treize personnes dont moi se sont présentées à la conférence organisée par le GASPPECO (Groupe d'analyse socio-politique des pays d'Europe Centrale et Orientale) à l'Institut de Sociologie de l'Université Libre de Bruxelles. Il y avait des étudiants et chercheurs en histoire, un journaliste albanais, des observateurs de l'actualité des Balkans, un représentant du Ministère belge des Affaires Étrangères,...
Jean-Arnault Dérens fut pratiquement accueilli comme une sommité par Jean-Michel De Waele, le responsable du GASPPECO, qui louait la qualité du Courrier des Balkans en ces termes : “Une source d'informations d'une richesse exceptionnelle”. Les internautes qui ont déjà eu l'occasion de lire mon site savent ce que je pense du Courrier des Balkans, site peu recommandable en raison du choix des articles sur le Monténégro écrits par des groupuscules à la pensée politique minoritaire au pays même (Monitor, extrémistes du SDP, branche néo-dioclétienne du DPS,...).
Bref, la “star” de la conférence insista pourtant en rappelant que “la publication d'un article par le Courrier des Balkans n'impliquait pas l'adhésion aux thèses de l'auteur (très dangereux) et que la pluralité des points de vue est notre objectif”. Ce qui est, bien évidemment, faux si un observateur un peu au fait de l'histoire et de la situation actuelle du Monténégro consulte la sélection des articles proposés et par conséquent le choix des médias monténégrins partenaires.
Jean-Arnault Dérens, après avoir présenté le Courrier des Balkans et invité les participants à se faire membre pour la somme de 30 euros, a proposé de faire un rappel historique du Monténégro. Il a ensuite exposé l'atmosphère politique monténégrine de ces dix dernières années. Il maîtrise bien son sujet et a décrit avec exactitude, pendant une heure et sans trop de confusion pour les profanes, les tenants et aboutissants de la petite marmite politique qu'est le Monténégro. Mais il y avait aussi des trous énormes, des omissions qui relevaient de la désinformation.
J'avais préparé une feuille et une plume pour retranscrire quelques-unes de ces assertions car, à la lecture du choix des articles par Le Courrier, j'étais certain à 100 % que Jean-Arnault Dérens allait nous sortir l'une ou l'autre élucubration historique imaginée par les révisionnistes monténégrins pour justifier, plus encore que par des critères économiques ou politiques, la sécession de la petite république pour des raisons ethniques ou historiques ; raisons au demeurant bien plus fondamentales et pertinentes.
De son exposé, il y a trois grands sujets qui relevaient soit de la méconnaissance du dossier Monténégro (on mettrait alors en doute les qualités de la sommité), soit d'une volonté manifeste de manipuler l’auditoire et donc, via son site, “l’opinion publique francophone” (le doute s'impose alors d'office). Participe-t-il sciemment, avec le soutien d’une certaine intelligentsia minoritaire, à une propagande indépendantiste de mauvaise foi ? C’est ce que je vais démontrer par l’affirmative.
D'emblée, Jean-Arnault Dérens commence par expliquer que les Monténégrins font partie du corps ethnique serbe mais qu’historiquement, leur microprincipauté, qui a su se préserver de la mainmise complète de l'Empire ottoman, s’est forgée une singularité historique, culturelle, sociale. Le fait qu'il affirme que les Monténégrins font partie de la sphère serbe est correct mais plus loin vous verrez qu'il est moins catégorique et proposera une autre théorie qui entre en contradiction avec la première. Très bizarre.
1. “La Conférence de Podgorica en 1918 voit l’apparition d’une identité monténégrine spécifique.”
Jean-Arnault Dérens affirme que c'est suite à l'union entre la Serbie et le Monténégro, concrétisée par la fameuse Conférence de Podgorica en novembre 1918, que l'identité monténégrine spécifique a fait son apparition dans une partie de la population pour se distancer du sentiment général d'appartenance à la nation serbe. On peut alors poser la question à M. Dérens : de quel sentiment national se réclamait les Monténégrins avant la Conférence si c'est pour la première fois qu'une forte identité monténégrine spécifique fait son apparition en 1918 ?
Cette identité monténégrine spécifique serait la conséquence de la résolution finale de la Conférence qui n’aurait pas été représentative de la population. L’issue de la Conférence est considérée comme une union entre la Serbie et le Monténégro selon les Blancs (unionistes), et une annexion du Monténégro par la Serbie selon les Verts (indépendantistes). M. Dérens affirme aussi que ceux qui ont voté pour l'union entre les deux pays ne représentaient pas tout le Monténégro et que ce n’est donc qu’une certaine partie des représentants (sans préciser toutefois la proportion) à la Conférence qui décidèrent du sort de l'ex-petit royaume. Comme si, pour que la Conférence et ses décisions soient valables, il aurait fallu que tous les représentants de la population fussent présents. Petit rappel: mises à part les lois fondamentales d’un pays qui nécessitent une majorité des deux tiers dans la plupart des cas, 50% suffisent. Ceux qui s’abstiennent perdent le droit de se plaindre.
M. Dérens affirme ensuite que l'armée et la police serbes ont mené des opérations de répression et d'exécution massive à l'encontre des Verts. Et rappelle encore une fois que c'est à partir de 1918 que s'affrontent deux conceptions opposées de l'identité monténégrine : d'un côté les Blancs qui se considèrent comme Serbes, de l'autre les Verts qui se considèrent comme Monténégrins et qui voient les Serbes comme des cousins.
Voici donc le premier mensonge de Jean-Arnault Dérens. Ce qui est surtout frappant, c'est que cette théorie sur les événements de 1918 qu’il présente est exactement celle qui a été progressivement construite par des intellectuels monténégrins minoritaires ces dernières décennies pour dénoncer une manipulation grand-serbe à Podgorica en 1918 à l'encontre du petit Monténégro après l'euphorie de la libération ottomane au début du siècle. Ce n'est donc pas le fruit du hasard : il ne s'agit pas d’une méconnaissance du dossier mais bien d'un mensonge sciemment développé par le président du Courrier des Balkans pour mieux asseoir le sentiment que les Monténégrins ne sont finalement pas si proches des Serbes et pour justifier l’indépendance. La Conférence de Podgorica est le numéro 2 au hit-parade des révisionnistes monténégrins. Je m'étais alors demandé si M. Dérens allait nous sortir le numéro 1 et, infra, vous verrez qu'il a en main le jeu de cartes favori des nationalistes révisionnistes. À ce premier mensonge, voici ce que j'ai répondu lors de mon intervention (j’ajoute ici quelques autres éléments que je n’avais pas pu développer, faute de temps):
a) à l'appel de la Conférence de Podgorica, tous les clans ont été conviés à y participer. Des réunions ont été organisées dans les villages, localités, hameaux,… pour désigner les représentants. Au fur et à mesure de la constitution de l’Assemblée, les royalistes (Verts) se sont rendus compte qu’une forte majorité de la population s’était constituée pour l’union avec la Serbie. Ils ont alors rejeté de participer à la désignation des représentants et c’est ainsi que les décisions de la Conférence de Podgorica (destitution du roi Nikola Ier, union avec la Serbie) ont été votées à la quasi unanimité. Il est très difficile de dire quelle part de la population les unionistes représentaient mais, d’après les observateurs étrangers (on relit la presse et les données de l’époque), au moins 75 % du Monténégro voulaient l’union.
Ce qui contredit donc l'affirmation de la faible validité démocratique avancée par Jean-Arnault Dérens.
Voici les participants à la Conférence de Podgorica (désolé, pas eu le temps de tout traduire):
OKRUG PODGORICKI
- ZA VAROS PODGORICU : Savo Cerovic, clan Velikog Suda, dr Dusan Matanovic, advokat;
- ZA KAPETANIJU PODGORICKU : Krsto Raickovic, pravnik i Jokan Stankovic, ucitelj;
- ZA KAPETANIJU LjESKOPOLjSKU : Dr Gavrilo Dozic, mitropolit i Jovan Cetkovic, ucitelj;
- ZA KAPETANIJU PIPERSKU : Spasoje Piletic, nacelnik ministarstva unutrasnjih djela i Mihailo Bozovic, svrseni pravnik
- ZA KAPETANIJU SPUSKU : Vuko Pulevic, svrseni filozof i Filip Pavicevic, ucitelj;
- ZA KAPETANIJU DONJOKUCKU : Petar Popovic, sekretar prvostepenog suda i Arso Petrovic, pisar oblasnog suda;
- ZA KAPETANIJU GORNJOKUCKU : Stevan Gosovic, maturan i Miras Radonjic, pisar oblasnog suda;
- ZA KAPETANIJU BRATONOSKU : Dimitrije Grujic, ucitelj i Nikola Simovic, svestenik;
- ZA KAPETANIJU PETRUSINSKU : Radovan Boskovic, sekretar prvenstvenog suda i Dusan Grupkovic, student prava;
- ZA KAPETANIJU MARTINICKU : Marko Savicevic, vojno-gradjanski cinovnik i dr Stanko Radovic, marveni lekar;
- ZA KAPETANIJU PAVKOVICSKU : Milos Jovanovic, apsolvent-student i Zivko Pavicevic, apsolvent pravnik;
- ZA KAPETANIJU VRAZEGRNSKU : Lazar Damjanovic, advokat i Novo Vucic, ucitelj;
- ZA KAPETANIJU ZATRIJEBACKU : Savo Fatic, advokat i Niko Ujkic (Malisor, katolik), tezak;
- ZA KAPETANIJU TUSKU : Milan Nenezic, upravnik podgoricke banke i Spasoje Radulovic, bivsi narodni poslanik;
- ZA KAPETANIJU ZETSKU : Vasilije Drakic, ucitelj, Filip Majic, svestenik i Risto Vujacic, advokat.
OKRUG ANDRIJEVACKI
- ZA KAPETANIJU ANDRIJEVACKU : Zarije Vukovic, predsednik suda u penziji i Janko Spasojevic, bivsi ministar;
- ZA KAPETANIJU KRALjSKU : Velimir Jojic, svrseni filozof i LJubomir Bakic, bivsi ministar;
- ZA KAPETANIJU SEKULARSKU : Savo Spasojevic, sekretar ministarstva spoljnih poslova i Radoje Nikolic, geometar;
- ZA KAPETANIJU VELICKU : Novica Popovic, ucitelj i LJubomir Vuksanovic, advokat;
- ZA KAPETANIJU LjEVORECKU : Bozidar Tomovic, student prava i Jagos Vesovic, profesor;
- ZA SREZ PLAVOGUSINJSKI : Savo Paunovic, plemenski kapetan, Risto Jojic, suplent i Tomica Ivanovic, student prava;
- ZA KAPETANIJU POLIMSKU : Marko Culafic, tezak i Novo Vugdelic, clan drzavne kontrole.
OKRUG PLjEVALjSKI
- ZA VAROS PLjEVLjA : Dr Jakov Zarubica, lekar i Serafim DZaric, iguman;
- ZA SREZ PLjEVALjSKI : Savo Vukojicic, svestenik, Dervis Secer-Kadic, okruzni muftija (Srbin musliman, islamski klerik) i Omer-Beg Selmanovic (Srbin musliman), sudija obaveznog suda;
- ZA SREZ SAHOVICKI : Milan Bajic, svrseni pravnik, Hamdi-Beg Hasanbegovic (Srbin musliman), posednik i Mitar Obradovic, suplent
- ZA SREZ BOLjACINSKI : Aleksa Bajic, trgovac, Mehmed-Beg Manovic (Srbin musliman), sudija oblasnog suda i Prokopije Siljak, ucitelj.
OKRUG KOLASINSKI:
- ZA KAPETANIJU GORNjEMORACKU : Sava Dragovic, bivsi sudija i Ilija Mandic, plemenski kapetan;
- ZA KAPETANIJU LIPOVSKU : Jovo Lazarevic, trgovac i Milos Radovic, ucitelj;
- ZA KAPETANIJU POLjA - KOLASINSKA : Milan Teric, svrseni djak trgovacke akademije i Pavle Zizic, ucitelj;
- ZA KAPETANIJU KOLASINSKU : Novica Scepanovic, apsolvirani student filozofije i Blagota Selic, opstinski sudija
- ZA KAPETANIJU ROVACKU : Nikola Bulatovic, ucitelj i Misa Draskovic, zemljoradnik;
- ZA KAPETANIJU DONjOMORACKU : Marko Rakocevic, apsolvirani student filozofije i dr Gavrilo Dozic, mitropolit
- ZA VAROS KOLASIN : Mirko Vujisic, svestenik.
OKRUG NIKSICKI:
- ZA SREZ SAVNICKI (ZA TRI KAPETANIJE DROBNJACKE) : Bogdan Bojovic, sekretar prvostepenog suda, Tomo Poleksic, maturant, Stanko Obradovic, svestenik, LJubo Cerovic, pisar oblasnog suda, Radovan Tomic, ucitelj i Radule Jaukovic sekretar velikog suda;
- ZA SREZ VILUSE : Marko Dakovic, advokat, Kosta Pejovic, advokatski pripravnik, Ivo Vukotic, advokatski pripravnik, Gavrilo Komnenic, teolog, Nikola Kovacevic, ucitelj, Ivo Koprivica, svestenik, Risto Colakovic, zemljodelac, Nikola Pejovic, trgovac i Miljko Bulatovic, ucitelj;
- ZA SREZ NIKSICKI : Kosto LJesevic, svestenik, Novak Kovacevic, sudija, Marko Simovic, nastojnik gradjevina, Milos Brajovic, ucitelj, Glisa Lazovic, bankarski cinovnik, Stevan Nikolic, student, Vukan DJurovic, svrseni pravnik, LJubo Pavic, posjednik, Jovo Bajevic, predsednik opstine, Krsto Stanisic, zemljodelac, Milan Vukotic, policijski cinovnik i Grujica Uskokovic, zemljoradnik;
- ZA SREZ GORANSKI : Danilo Radojicic, cinovnik ministarstva vojnog, Mijo Glomazic, ucitelj, Mirceta Golovic, svestenik, Jovo Radovic, svestenik i Mitar Visnjic, zemljodelac.
OKRUG BARSKI
- ZA KAPETANIJU DONjOCRMNICKU : Ilija Gvozdenovic, ucitelj i Nikola Klisic, ucitelj;
- ZA KAPETANIJU GORNjOCRMINCKU : Mihailo Jovanovic, sudija i Dusan Popovic, student prava;
- ZA KAPETANIJU SESTANSKO - SELACKU : dr Blazo Lekic, svrseni pravnik i Petar Lukic, dragoman konzulata;
- ZA VAROS BAR : Mitar Ilickovic, trgovac i Petar Hajdukovic, svestenik;
- ZA KAPETANIJU BARSKU : Vaso Novakovic, student prava i Savo Divanovic, bankarski cinovnik;
- ZA KAPETANIJU MRKOJEVICKU : Suljo Petovic (Srbin musliman), zemljodelac;
- ZA KAPETANIJU ULCINjSKU : Uros Maric, apotekar i Jovan Hajdukovic, okruzni nacelnik.
OKRUG CETINjSKI
- ZA VAROS CETINjE : LJubo Glomazic, advokat i dr Nesko Radovic, okruzni fizikus;
- ZA SREZ CETINjSKI : Vido Milosevic, zemljodelac, Marko Matanovic, inzenjer, Aleksa Martinovic, vice konzul i Pero Vrbica, sef drzavnog racunovodstva;
- ZA SREZ CEVSKI : vojvoda Stevo Vukotic (brat kraljice Milene, zene kralja Nikole), okruzni nacelnik, Luka Vukotic, advokatski pripravnik, Blazo Begovic, ucitelj, Zivko Dragovic, drzavni savetnik, Petar Mijanovic, svestenik i Krsto Radulovic, svestenik;
- ZA SREZ RIJECKI : Mitar Vukcevic, drzavni pravobranilac, dr Milutin Lopicic, lekar, Stevo Jovicevic, bankarski cinovnik, Jovan Dapcevic, djakon, Nikola Markovic, ucitelj, Vaso DJuranovic, ucitelj, Marko Knezevic, suplent i Pero Kaludjerovic, ucitelj.
OKRUG BERANSKI
- ZA SREZ BERANSKI : Milosav Raicevic, bivsi ministar; Bogdan Obradovic, ucitelj i Tomo Joksimovic, ucitelj;
- ZA SREZ ROZAJSKI : Prokopije Vekovic, protosindjel, LJubomir Popovic, inzenjer i Nikola Cemovic, sudija;
- ZA SREZ BJELOPOLjSKI : Aleksandar Bajovic, ucitelj, Kirilo Balsic, svestenik i Nikola Micovic, student prava;
- ZA VAROS BIJELO POLjE : Andro Stanic, trgovac;
- ZA SREZ BUDIMSKI : Radosav Joksimovic, pisar kapetanski, Milic Popovic, sreski kapetan i Vukajlo Devic, ucitelj;
- ZA SREZ KORITSKI : Milan Popovic, ucitelj, Milo Delevic, okruzni sudija i Milos Popovic, ucitelj;
- ZA VAROS BERANE : Aleksandar Popovic, predsednik opstine.
OKRUG METOHIJSKI
- ZA VAROS PEC : Nazim-Beg Mahmudbegovic (Albanac, musliman), veleposednik i Mihailo Dimitrijevic, trgovac;
- ZA VAROS DjAKOVICU : LJubomir Kujundzic, trgovac i Musa Sejdula, trgovac;
- ZA SREZ PECKI : Milivoje Miletic, svestenik, Kamber Dema, zemljoradnik i Velicko Lazarevic, zemljoradnik;
- ZA SREZ ISTOCKI : Da&Mac251;ko Hreza (Arbanas, katolik), katolicki svestenik, Nikola Jovicevic, svestenik i Jevto Popovic, predsednik prvostepenog suda
- ZA SREZ DjAKOVACKI : Krsto Jablan, sudija, Mehmed Zecir-aga (Albanac, musliman), veljeposednik i Mustafa Jajaga (Albanac, musliman), zemljodelac.
b) contrairement à ce qu'affirme Jean-Arnault Dérens, l'armée et la police serbes n'ont pas commencé les opérations de répression et d'exécution de masse juste parce qu'il y avait une opposition à l’union. L'armée et la police serbes ont répondu à la révolte armée initiée par les Verts lors de la Noël orthodoxe en janvier 1919. Oui, il y a eu des morts du côté vert mais le plus grand mystère entoure le nombre exact. Et pourquoi ne sait-on toujours pas s'il y a eu 500 ou 5.000 Verts tués? Tout simplement parce qu’aucun travail sérieux n'a été entrepris sur la question et c'est à se demander si les Verts cherchent vraiment à mettre la vérité au jour, préférant tabler sur l'absence de données concrètes pour élaborer les mystifications historiques et statistiques les plus fumeuses.
c) les Monténégrins se sont toujours considérés comme des Serbes. Les archives qui le prouvent se comptent par milliers: www.njegos.org. Les révisionnistes ont bien dû mal à se dépêtrer de la masse colossale que constituent les archives du Monténégro où le mot “serbe” revient sans cesse. Même les spécialistes étrangers (historiens, politiciens, voyageurs,...) à travers les siècles et plus particulièrement à partir du XIXe siècle et jusqu'à la moitié du XXe siècle ont fait la description d'un pays serbe (“La Sparte Serbe” – Alfred Lord Tennyson), qui clamait fièrement sa serbité et qui faisait tout pour combattre les Ottomans dans le but de recréer le lien avec les frères serbes du Nord. Affirmer qu'une identité spécifique monténégrine est apparue après la conférence de 1918 est faux.
La première fois que l'on entend toutefois parler d'une “nation monténégrine” (comme d'une “nation macédonienne”), c’est dans les résolutions du Parti communiste yougoslave dans les années 1920, sous l'impulsion il est vrai du Komintern. Cette volonté de réduire la sphère d'influence de la “bourgeoisie serbe avachie sur les acquis de la Yougoslavie de Versailles” était d'abord prudente dans les mots avant de devenir progressivement, dans les années 1930, et avec le plus grand éclat après la Seconde Guerre Mondiale, la politique officielle. La “nation spécifique monténégrine” apparaît donc formellement dans la politique officielle du Parti communiste yougoslave seulement à partir de 1945. Pour annoncer au peuple la naissance d'une nouvelle nationalité artificielle, le PCY utilisa alors la presse officielle comme le faisaient les Soviétiques avec la Pravda. C'est Milovan Djilas, compagnon de route de Tito avec Edvard Kardelj, qui annonça de manière très doctrinale et scientifique le 1er mai 1945 dans les colonnes de Borba, l'organe du PCY, la naissance de la “nationalité monténégrine” : “Les Monténégrins sont des Serbes différents des autres Serbes”. Jamais, ô grand jamais, les Monténégrins ne se sont auparavant considérés comme des Monténégrins d'un point de vue ethnique. C’est comme les Texans : fiers d’être Texans mais tout aussi fiers d’être Américains. Et je mets au défi Jean-Arnault Dérens et ses amis révisionnistes de nous trouver un document qui prouverait que les Monténégrins se soient considérés comme “ethniquement Monténégrins” avant cette date. Quelques années plus tard, dans un article mémorable, Milovan Djilas regrettera ce qu’il avait écrit en 1945 et clamera haut et fort que les Monténégrins ont toujours été et resteront toujours des Serbes.
Remontons quelques années en arrière, en 1942, quand la politique officielle n'était pas encore de déserbiser le Monténégro pour réduire l'influence serbe dans la Yougoslavie. Tito écrit dans l’édition du 16 décembre 1942 du journal communiste Proleter: “Je dois souligner ici que dans les rangs de notre armée populaire de libération et dans les divisions des partisans yougoslaves, des débuts et jusqu’à aujourd’hui, on compte en grande majorité des Serbes et non le contraire: des Serbes, des Monténégrins, des Bosniaques. Le peuple serbe a donné et donne encore aujourd’hui le plus grand apport dans le combat contre les occupants et ses traîtres serviles.”
C'est bien la preuve que même pour les idéalistes de l'époque qui voulaient construire une société yougoslave socialiste, les Monténégrins sont encore considérés comme des Serbes et non comme une nation à part. Ce qui s'est passé ensuite en 1945 est la concrétisation des résolutions du PCY et du Komintern sur “le statut des minorités ethniques et sur le combat de la classe ouvrière pour son émancipation face à la” prétendue “mainmise de la bourgeoisie serbe dans le Royaume des SCS”. Rendez-vous compte : la “classe ouvrière” dans une société monténégrine fondée sur le clan patriarcal et où la classe ouvrière n’existait même pas ! Sur cette question cruciale des nationalités, il faudrait relire les textes des années 1920 et 1930 des congrès des communistes yougoslaves mais alors c'est une thèse de plusieurs centaines de pages qu'il faudrait écrire. On tissait donc la “nation monténégrine” dans les réunions communistes à Zagreb, à Vienne, à Belgrade,... sans que les Monténégrins ne soient vraiment au courant.
The Times “Atlas of World History”, édition de 1978. Carte des divisions ethniques, politiques et linguistiques de l'Europe (de 1800 à 1914), page 214.
La carte des territoires habités par les Serbes au XIXe siècle. Extraite du livre de Mary E. Durham sur son récit de voyage dans le pays des Serbes.
La carte des ethnies yougoslaves, établie par les Allemands dans les années 1930. En jaune : les Serbes. En jaune barré : les Serbes monténégrins. Il n’y a donc pas à cette époque de nation monténégrine, comme il n’en a jamais existé avant 1945.
Dès 1945 donc, officiellement, la nationalité monténégrine est créée sans que l'on demande l'avis des Monténégrins et ce dans le but de réduire la sphère culturelle serbe dans la Yougoslavie titiste. On m'a rapporté quelques anecdotes succulentes à ce sujet comme celle-ci : un commissaire du parti était chargé de faire le recensement de 1948 dans une localité du clan des Bratonožići.
— Il demanda au père de famille : “Nationalité ?”
— Le père de famille répondit : “Serbe.”
— “Ah, ce n'est plus possible,” lui rétorqua machinalement le commissaire, “vous êtes Monténégrins maintenant.”
— “Fiche-moi le camp sale racaille communiste, que je ne te vois plus ici. Nous les Monténégrins avons toujours été des Serbes et nous le resterons !”
Il était interdit, dès 1945, aux Monténégrins de se déclarer Serbes sous peine de vexations. Tous ceux qui osaient braver la politique des communistes yougoslaves sur la question ethnique étaient empêchés dans leur carrière que cela soit en politique ou dans l’administration.
“Le peuple serbe est pratiquement le seul peuple yougoslave à avoir été pratiquement interdit d'existence sur certaines portions du territoire national. Au Monténégro, dont toute la population se considérait comme serbe avant la IIe guerre mondiale, et en Macédoine, où la population serbe représentait une communauté importante, on n'a plus pu décliner publiquement son appartenance au peuple serbe. Celui qui se déclarait serbe s'exposait à toutes sortes de pressions et de chicanements de la part des autorités et devait renoncer à tout espoir de carrière dans un service administratif ou politique. Dans la Yougoslavie marxiste, où l'on veillait méticuleusement à ce que tous les peuples et toutes les minorités fussent représentées dans les corps politiques et où le plus infime groupement ethnique avait droit à ses écoles et à ses publications, les Serbes du Monténégro et de Macédoine n'osaient même pas rêver de tels droits. Qui plus est, le système scolaire et les médias avaient développé une intense propagande tendant à prouver qu'il n'y avait pas de Serbes dans ces régions, ce qui ne pouvait rester sans conséquences sur les générations élevées après la IIe guerre mondiale.”
IVIĆ Pavle, “Inexactitudes et distorsions, Un modèle de propagande politique” in “De l'imprécision à la falsification, Analyses de VIE ET MORT DE LA YOUGOSLAVIE de Paul Garde” - Collectif - 1992 - Éd. L'Âge d'Homme.
d) Si Jean-Arnault Dérens évoqua la confrontation sanglante entre les Blancs et les Verts, il se garda bien d'évoquer un épisode aussi important, si pas plus important, pour comprendre la question clé de l'identité monténégrine. Il “oublia” de rappeler que les communistes ont commis des crimes atroces pendant la Seconde Guerre Mondiale, surtout dans le Vieux Monténégro, dans et autour Cetinje, contre tous ceux qui refusaient la nouvelle théorie sur les nationalités ou qui s’opposaient au communisme. Ceux qui osaient encore dire qu’ils étaient Serbes étaient chassés, déportés voire assassinés. On comptera, dans tout le Monténégro, des milliers de morts selon certaines sources qui elles non plus ne sont pas très précises. Aujourd’hui encore, de nombreuses familles de Cetinje sont les descendants de ses communistes et elles considèrent que les Monténégrins n’ont jamais été des Serbes. Le résultat d’une éducation de génération en génération. On comprend, en plus du caractère historique de la ville et de son cachet rebelle, pourquoi Cetinje est aujourd’hui le bastion nationaliste.
Conclusion : après 1918, contrairement à ce qu'affirme Jean-Arnault Dérens, ne s'affrontent pas des Monténégrins qui se considèrent Serbes et des Monténégrins qui se considèrent Monténégrins, il s'agit tout simplement d'une guerre civile au sein d'une même ethnie (Serbes contre Serbes) pour des questions politiques et de privilèges comme se sont affrontés pendant la Seconde Guerre Mondiale les Serbes partisans (communistes athées) et les Serbes tchetniks (royalistes orthodoxes). De plus, les Verts ont continué, dans les années 1920 et 1930 à se considérer comme Serbes d'un point de vue ethnique. La preuve la plus spectaculaire : les faits, gestes et déclarations du capitaine Krsto Zrnov Popović, le chef des rebelles verts. Même les Verts en exil, dans la diaspora, ont continué à cette époque à se proclamer Serbo-Monténégrins et n'ont posé aucun acte dans leur vie sociale qui pourrait être considéré comme “ethniquement” monténégrin. C'est dans la seconde moitié du XXe siècle que cela change à la faveur du coup de force communiste de la Yougoslavie titiste..
— Pourquoi cette question sur le fait de savoir si l'identité monténégrine serait apparue spontanément après la conférence de Podgorica (ce qui est bien évidemment faux) ou artificiellement à partir de 1945 (ce qui est historiquement attesté) est importante ?
— Pourquoi les nationalistes révisionnistes monténégrins s'appuient encore aujourd'hui sur la première thèse fallacieuse pour justifier l'indépendance sur base d'une différenciation avec les Serbes ?
— Pourquoi je dénonce avec la plus grande fermeté cette manipulation des révisionnistes monténégrins et de leur ami Français Jean-Arnault Dérens ?
Parce que le contexte de la Conférence de Podgorica en 1918 est plus propice à une acceptation de l’indépendance du Monténégro par le profane qui écoute la version révisée de l’Histoire. La théorie selon laquelle il y aurait une différence importante entre les Serbes et les Monténégrins et la théorie de l’annexion se prêtent mieux à la propagande que celle, artificielle, édictée par le PCY. Quel beau combat que celui de la résistance au prétendu ogre grand-serbe plutôt que celui de la tentative de démonstration de la manipulation communiste qui a fait rage après 1945.
Malheureusement, les faits historiques et les documents sont là. Ce qu'a raconté Jean-Arnault Dérens sur cette question monténégrine est mensonger et la parfaite traduction en français de la rhétorique révisionniste sur laquelle même le gouvernement et les médias pro-gouvernementaux se reposent aujourd’hui sans cesse par pur opportunisme politique. 1918 est un des éléments fondateurs de la propagande des indépendantistes historiques mais il est déformé. L'exposé de Jean-Arnault Dérens fut à bien des égards précis et objectif mais il contenait aussi ce mensonge fondamental qui en fait conditionne tout le discours indépendantiste. Certaines personnes venues l'écouter ont-elles avalé ses mots sans une prise distance ou sont-elles prêtes à entendre une autre version comme celle que j'expose ?
2. “Serbe = faire partie de la chrétienté orthodoxe.”
Jean-Arnault Dérens a ensuite réagi à mon intervention en affirmant, qu'en fait, lorsque les Monténégrins se décrivaient comme étant des Serbes, c'était pour souligner plutôt leur appartenance à la chrétienté orthodoxe (sous-entendu : et non à l'ethnie serbe). Cette phrase, en contradiction avec son affirmation au tout début de la conférence où il affirma que les Monténégrins font partie du corps ethnique serbe, fut énoncée assez rapidement car manifestement, il savait qu'elle soulèverait tempête de ma part. Par cette affirmation, Jean-Arnault Dérens a chanté le numéro 1 au hit-parade des révisionnistes monténégrins: “Les Monténégrins utilisaient le terme serbe uniquement d'un point de vue religieux”. Les révisionnistes ajoutent: “Les Monténégrins ont toujours été ethniquement Monténégrins”. Grotesque. Cela ne fait maintenant plus de doute : Jean-Arnault Dérens est un manipulateur à la solde des révisionnistes monténégrins.
On se rend aussi compte que dans son exposé, Jean-Arnault Dérens, qui a voulu faire un survol historique du Monténégro, a complètement éludé 45 ans de délire communiste dans la petite république entre 1945 et 1990. Il n’a pas dit un mot sur la déserbisation/monténégrisation criminelle, artificielle et progressive, à feu doux, mais efficace, entreprise par les communistes et avec l’appui de mouvements catholiques, principalement croates mais aussi romain, pour réduire la sphère culturelle serbe très importante dans la Yougoslavie communiste où tout ce qui a été serbe a été disséqué pour l’éparpiller et mieux le contrôler. Je n’ai pas le temps de mettre en forme quelques documents sur le prosélytisme catholique romain au Monténégro mais ceux que cela intéresse n’ont qu’à les demander.
Parmi ces données historiques fondamentales pour comprendre la situation actuelle au Monténégro, et volontairement omises par Jean-Arnault Dérens, citons l’exemple le plus spectaculaire : la destruction de la chapelle de Njegoš [Niégoch] au sommet du mont Lovćen [Lovtchéne]. Citons aussi l’éradication du mot “serbe” dans de nombreuses œuvres littéraires dont “La Couronne des Montagnes” de Njegoš, la latinisation imposée par des intellectuels anti-orthodoxes, les tentatives de catholisisation des Orthodoxes,… Il n’a aussi pas évoqué l’état catastrophique des médias monténégrins. Mais aurait-il pu dire autre chose, de plus révélateur que ce que j’avais écrit l’année passée sur cette question ? Je pourrais aussi ajouter l’antiserbisme primaire qui règne sur la télévision d’État avec des programmes de propagande dignes d’une république bananière, la suppression des caractères cyrilliques et de certains programmes culturels qui démontraient un peu trop le passé serbe du pays. Les caractères latins imposés sont une nouveauté de ces dernières années, l'écriture cyrillique a toujours été exclusivement utilisée au Monténégro.
3. Une certaine admiration pour Milo Djukanović
Jean-Arnault Dérens a aussi marqué une certaine admiration pour Milo Djukanović, pour son courage politique lors des bombardements de l’Otan sur la Yougoslavie en mars 1999, pour avoir dénoncé le régime Milošević notamment pour les crimes de ce même régime en Bosnie. D’après M. Dérens, Milo Djukanović aurait eu ces dernières années des accents de tolérance vis-à-vis de la serbité des Monténégrins (“Nous sommes proches des Serbes”, “Il n’y a pas d’opposition à la serbité des Monténégrins”). Ce qui est bien évidemment faux puisque si je rassemble tout ce que le président monténégrin a dit, depuis 1999, de négatif sur la culture serbe et la Serbie et tout ce qui touche à la serbité des Monténégrins (“ces mythes et ces fantasmagories” dixit Djukanović début 2001), je pourrais écrire un livre de plus de cent pages. Pour quelqu'un qui passe son temps entre Podgorica et la France, c'est tout de même étonnant qu'il n'ait pas relevé ces nombreuses déclarations du président monténégrin, déclarations dont se font l'écho toute la presse pro-gouvernementale et dominante que Le Courrier des Balkans relaye en partie (Monitor, Vijesti).
J’ai dû le rappeler à Jean-Arnault Dérens, tout comme j’ai dû lui rappeler les positions de Djukanović sur la question de la serbité qu'il défendait avec la plus grande vigueur, ainsi que les positions du président monténégrin sur les hauteurs de Dubrovnik en 1991, ou sa responsabilité dans la mise en œuvre du nettoyage ethnique dans le Sud-est de la Bosnie : “Cependant, en relisant les articles de la presse yougoslave de l'époque, il y a de quoi sourire. En effet, même le quotidien belgradois Politika (à la solde de Milošević) avait critiqué la violence extrême des troupes monténégrines du Président Momir Bulatović et de son Premier Ministre Milo Djukanović (2e à droite sur la photo) sur Dubrovnik”. Lire l’article complet.
Jean-Arnault Dérens a précisé que les Albanais, les Musulmans et les Croates ont, pratiquement à l’unanimité, voté pour la coalition indépendantiste de Milo Djukanović. Mais il a aussi “oublié” de fournir une donnée plus importante qu’elle n’y paraît : si l’on tient compte que ces 30 % de non-Monténégrins (à savoir les citoyens non-slaves et non-orthodoxes: Albanais, Musulmans, Croates et autres) ont voté pour Djukanović, et si l’on tient compte qu’il reste dans notre calcul 62 % de Monténégrins et 8 % de Serbes, il y a donc plus de Monténégrins orthodoxes qui ont voté pour les partis unionistes que pour les partis séparatistes. La coalition indépendantiste a obtenu 52 % des voix et la coalition unioniste 43 % (Lien). Dans les 52% des voix, on enlève une grande part de votants Albanais, Musulmans, Croates et autres, et l’on se rend compte que les Monténégrins orthodoxes qui sont en faveur de l’indépendance sont fortement minoritaires par rapport à ceux qui ont voté pour l’union. Milo Djukanovic n’a conservé le pouvoir législatif que grâce aux Albanais, Musulmans, Croates,… et a été désavoué par sa propre ethnie serbe orthodoxe ! Rappelons que les Albanais, Musulmans nationaux et les Croates habitant au Monténégro ne sont pas considérés comme “Monténégrins” par une très grande partie de la population mais comme des citoyens du Monténégro. Même des politiciens indépendantistes le reconnaissent : “Les citoyens du Monténégro devront s’exprimer par voie de référendum”.
“Folklorique la CPC...”
Dès la conférence terminée, j’ai voulu peler un œuf avec Jean-Arnault Dérens sur quelques sujets critiques mais ses amis universitaires, organisateurs de la conférence, ont tout fait pour que cette discussion n’ait pas lieu en le tirant par la main pour le soustraire à l’emmerdeur que je suis. J’ai pourtant réussi à lui soutirer l’une ou l’autre impression, notamment sur l’orthodoxie monténégrine. Il reconnaissait que “la mise en place et les déroulements” de la nouvelle Église orthodoxe monténégrine (CPC) “sont folkloriques”. J’ai alors demandé s’il connaissait la différence entre les termes “Église orthodoxe monténégrine” et “Église orthodoxe au Monténégro”… Il me répondit: “Oui, euh… oui” non sans une pointe d’hésitation. Mais il insista en parlant d’une certaine forme de reconnaissance de l’Orthodoxie monténégrine à l’époque de Njegoš par la Russie. Mais je lui appris à mon tour et à nouveau quelles étaient les véritables raisons de cette reconnaissance (egzarh du Patriarcat de Peć, mitre blanche de Njegoš,... Plus tard, prétention du roi Nikola Ier sur le trône de tous les Serbes, etc…). J’avais vraiment l’impression de lui apprendre quelque chose. Révélateur…
Il insista encore une fois sur le fait que les Monténégrins se considéraient comme Serbes plutôt pour souligner leur appartenance à la chrétienté orthodoxe et non d'un point de vue ethnique, alors que des milliers de documents, et même la conscience nationale, prouvent le contraire.
Njegoš, quand il se rendit dans le Golfe de Kotor, s’adressa ainsi aux Serbes catholiques :
SRBIN SRBIMA NA CASTI ZAHVALJUJE
Un Serbe remercie les Serbes sur les honneurs
Kako odoh iz slobodnih gorah, [du Vieux Monténégro]
misljah u njih Srpstvo ostaviti, [la serbité dans le Vieux Monténégro]
a medj' tudjim uljesti narodom,
kom obicaj ni jezika ne znam:
vjera druga, carstvo, misac druga;
misljah prezren ka i krvnik biti
radi vjere - svijeta nesloge.
No ja sasvim drugojace nadjem:
bih docekan u Kotoru krasno
u srpskojzi kuci Lumbardica. [accueilli dans une maison serbe]
Tu tri dana ka u trenuc prosli
pravom cascu i veseljem srpskim;
dok cetvrti, na uranak sunca,
konte Josif iz Dobrote dodje
sa njegova dva mila sinovca,
dva sinovca kako dvije vile.
Tek se stasmo, bratski s' izljubismo,
pitasmo se za zivot i zdravlje,
i u govor dug iskreno srpski
stase sva tri konta govoriti:
"Volja nam je stari prijatelju,
da nam kucu podjes vidijeti
(ne dje drugo vece u Dobrotu)
sa svom bracom koja su ti ovdje,
nasom bracom hrabrim".
— Pourquoi Njegoš s’adresse-t-il aux Serbes catholiques en les appelant tout simplement "Serbes" si, d’après les révisionnistes, “serbe” signifiait uniquement “chrétien orthodoxe” ? Contradiction.
— Si les Monténégrins se considéraient comme des Serbes uniquement d’un point de vue religieux, cela veut dire qu’ils se tournèrent alors vers le Patriarcat de Peć, siège de l’orthodoxie serbe ! Déduction: l’Orthodoxie monténégrine ne pouvait alors être autocéphale ! Contradiction.
— En parcourant un passeport monténégrin du milieu du XIXe siècle, on peut y lire ceci : “Citoyenneté : monténégrine – Nationalité : serbe – Foi : orthodoxe orientale”.
— L’article 95 du Code du Prince Danilo Petrović-Njegoš de 1855 (l’équivalent du Code Napoléon) stipule : “Bien qu’il n’y ait d’autres nationalités dans ce pays exceptée la nationalité serbe ET d’autres religions hormis la religion orthodoxe, chaque personne et chaque étranger d’une autre confession peuvent vivre et jouir de la même liberté et des mêmes droits civils qu’un Monténégrin”.
Ces deux derniers exemples, où l'on voit bien la distinction entre la nationalité serbe et la foi orthodoxe, entrent aussi en contradiction complète avec la théorie révisionniste de Jean-Arnault Dérens.
De contradiction en contradiction, nous démolissons avec une facilité déconcertante les mensonges des révisionnistes monténégrins.
Personnellement, si j’avais été amené à parler du Monténégro en tant que conférencier, j’aurais passé plus de temps à répondre aux questions du public et à débattre. Même s’il fallait quitter la salle pour la laisser à d’autres, je n’aurais pas profité de cette occasion pour esquiver l'interpellation. On aurait continué dans le couloir, sur le toit de l’Institut de Sociologie si nécessaire, dans le parc, autour d’un verre mais on aurait continué à discuter, pendant des heures s’il le fallait. On se serait échangé des documents de travail pour enfin trancher certains nœuds gordiens.
Voir une institution universitaire renommée comme l'U.L.B. entretenir de la sorte le porte-parole francophone des révisionnistes et des indépendantistes de mauvaise foi, voir des gens se faire membre du Courrier des Balkans alors que cette organisation opère une mésinformation scandaleuse à l’attention des observateurs francophones… Il y avait de quoi être consterné et, à certains égards, amusé. Ce spectacle affligeant me pousse à continuer mon combat pour faire connaître le vrai visage du Monténégro, d’hier et d’aujourd’hui. Plus Jean-Arnault Dérens et Le Courrier des Balkans persisteront à mentir sur le Monténégro, plus je serai motivé.
J’appelle Jean-Arnault Dérens à un débat public en face-à-face arbitré pour confronter nos points de vue sur le Monténégro, avec dans le public des spécialistes, historiens, journalistes,… à Paris s’il le souhaite. Mais au fait, ne m’a-t-il pas dit un jour qu’il a passé l’âge ? La belle esquive.
MISE AU POINT
Je suis frappé de voir l’un ou l’autre média cataloguer mon site comme “pro-serbe” ou “anti-indépendantiste”, des termes qui sonnent comme des lieux communs, des procès sans appel et qui semblent vouloir dire que je suis contre la légitimité du référendum et de l’indépendance du Monténégro.
1. Monténégro indépendant ou pas, je n’y changerai rien et franchement, au grand dam de quelques amis Serbo-monténégrins aux idées bien arrêtées, je n’ai jamais été un farouche opposant à l’indépendance ;
2. je ne suis pas “pro-serbe” tel que les stupides mass merdias ont déformé ce terme en l’associant largement au terme “grand-serbe”. Je défends d’abord le Monténégro et sa véritable nature historique et culturelle ;
3. si l’idée du combat pour l’indépendance du Monténégro peut être considérée comme une quête admirable, je me dois, à la lumière des événements dans notre république depuis 1999, de m’opposer à cette indépendance car les moyens pour y arriver sont frauduleux. Mes raisons sont très précises et vous avez pu en lire les principales dans ma réponse à Jean-Arnault Dérens.
Si l’actuel gouvernement monténégrin, dans sa volonté de se créer un Monaco des Balkans (qui ne satisferait que quelques familles privilégiées), ne jouait pas avec ces allumettes qui divisent le peuple en usant des falsifications historiques et en usant des prises de positions anti-serbes de certains indépendantistes de mauvaise foi par pur opportunisme politique, en se basant aussi sur les “acquis” de la “révolution communiste” criminelle sur la question de la “nation monténégrine”, alors je ne me serais pas opposé à l’indépendance du Monténégro.
Le mouvement indépendantiste n'est pas spontané au Monténégro car il n'a pas été construit ces dernières décennies avec l’acceptation démocratique de toutes les composantes de la société. Il suffit de regarder la télévision d'État ou d'ouvrir les quotidiens Pobjeda ou Vijesti pour s'en convaincre. Et je ne parle même pas de Monitor...
Je demande aussi l’organisation rapide d’un référendum sur le statut d’État car on en a aussi marre des calculs politiques de Djukanović qui cherche à tout prix à garder le pouvoir.
Voilà pourquoi je vais continuer car c’est une façon pour moi de RÉINFORMER, pour combattre les élucubrations des pseudos-historiens comme Rotković, des pseudos-linguistes comme Nikčević, des pseudos-politiciens comme les têtes pensantes extrémistes du LSCG, du SDP et de la branche néo-dioclétienne du DPS, des extrémistes de la DANU, des post-communistes de la CANU, des pseudos-religieux de la prétendue Église orthodoxe monténégrine, des quelques responsables des partis serbes qui considèrent encore le Monténégro comme une province de la Serbie, sans oublier bien sûr les manipulateurs ici en Occident comme Jean-Arnault Dérens.
Branislav Milic
Téléchargez mon livret gratuit qui explique la véritable nature historique, ethnique, culturelle du Monténégro :
Le vrai visage du Monténégro, hier et aujourd'hui.
Branislav Milić
Bruxelles, décembre 2000
— PDF pour ordinateurs de bureau
— PDF pour appareils mobiles
Synopsis : Ces derniers temps, lorsqu’on lit et écoute les médias qui traitent l’actualité du Monténégro (la République qui fait partie avec la Serbie de la République Fédérale de Yougoslavie), on nous présente les Serbes et les Monténégrins comme s’il s’agissait de deux entités ethniques complètement différentes. C’est faux. Il est de notoriété, même dans les milieux éclairés occidentaux, que les Monténégrins sont d’un point de vue ethnique des Serbes. Cependant, depuis 1945 et plus particulièrement depuis la toute récente guerre froide qui oppose le Monténégro et la Serbie, des mouvements nationalistes, indépendantistes et révisionnistes monténégrins font le forcing dans l’unique but de se débarrasser une bonne fois pour toutes de la Serbie pour des raisons identitaires, politiques et économiques, mais surtout pour asseoir un régime autocratique mafieux qui n'aura de comptes à rendre à personne.